François L*** est né le 19 décembre 1965 sous le signe astrologique du Sagittaire, la neuvième constellation du Zodiaque dont Ptolémée assurait, dans sa Tétrabible poétique et surannée, que ses natifs possédaient le sens, l’instinct de l’admiration. Il se trouve que cette hypothèse semble se vérifier dans le cas de François L***. Lorsqu’il vient me rendre visite dans mon appartement parisien, nous dialoguons et il me questionne souvent sur la vie des grandes individualités, des génies. Ceux que Victor Hugo, à la fin de “William Shakespeare”, compare à des incendies ; des torches une à une allumées dans la nuit du destin.
Je précise que sa famille est, depuis des générations, originaire de la belle, de la farouche cité de Corte adossée à la forteresse où Pascal Paoli établit le siège de son gouvernement jusqu’à ce qu’il soit, avec ses troupes, écrasé le 9 mai 1769 à Ponte Novo, quatre-vingt-dix-neuf jours avant la naissance de Napoléon Bonaparte. Par ailleurs, bon chien chasse de race. Le père de François, mon vieil ami Dominique L***, anima pendant près de vingt années, le décor voilé de rimmel et poudré d’électricité des nuits de Montparnasse au moment qu’une partie des noctambules corses de Paris abandonnèrent Montmartre et le quartier Pigalle qui commençait à s’enfoncer dans une fangeuse décrépitude. S’ouvrirent alors aux alentours du carrefour Vavin des établissements dont, pour nous, le nom reste fameux. Entre autres : Chez Josée, rue Delambre, le Rosebud, un Cercle de jeux, le Falstaff, le Jour et Nuit, L’Atelier, le O.K. Bar, La Villa, La Dolce Vita. Dominique chantait à L’Ajaccienne, rue du Montparnasse. Sa voix cuivrée, étrange, étonnait, ne s’oubliait pas. C’était un chanteur de minuit et du petit jour. Il connaissait tout : les romances à la mode, les très anciennes chansons réalistes, celles des maisons centrales et des unités disciplinaires. Quand la nuit s’éteignait ainsi qu’une bougie fondue, que « Le tapis vert » avait succédé à « Opium » et à « Cavale », il s’emparait de l’âme des femmes avec « Le dernier tango ». C’est lui qui a donné à son fils le goût incurable de la chanson, qui lui a appris le métier. Et voici que maintenant François L*** écrit ses propres textes dont certains ont reçu l’encouragement manuscrit de Jean-Jacques Goldman. C’est dire…
Dans ceux qui composent ce disque (selon moi les meilleurs sont « L’arc-en-ciel de Rimbaud » et « Constance ») s’opposent deux schèmes obsédants : le dégoût d’une vie morne, étroite, cellulaire, et l’espoir d’un ailleurs ; d’un monde plus propre, embelli de couleurs pures. Et, dans ce tissage aéré, se profile le visage de la femme qu’il attend car elle apportera avec elle sa lampe ; lanterne sourde ou ruban électrique. De la musique qui accompagne ces textes, de la voix solitaire, des duos, je ne dirai rien. Je suis mauvais juge des rythmes modernes, mais je sais que toute musique impose aux paroles ses lois limitées à quelques notes dont les combinaisons varient à l’infini, comme pour les peintres les couleurs. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est Pierre Mac Orlan qui l’affirmait à propos du « Bar du dernier verre » de son ami Francis Carco qui sera mis en musique par Francis Lemarque : « Il est souvent plus difficile d’écrire une chanson que de composer un roman ou de peindre une toile. Il faut beaucoup de loyauté pour écrire une chanson… et beaucoup de confiance dans la sensibilité de l’auditeur. »
Quoi qu’on en pense, le vieux magicien du Quai des brumes ne parlait jamais à la légère. Ancien peintre, il avait composé de beaux livres dont L’Ancre de Miséricorde, un merveilleux roman d’initiation, et il écrivit plusieurs dizaines de chansons parmi lesquelles « Nelly », « La chanson de Margaret », « Marie-Dominique », « Tortuga », « La fille de Londres » égalent certains romans d’aventures, mais ne s’imposent pas à celui qui sent la poudre, l’or et le sang : L’Île au trésor.
On m’a demandé des précisions sur la photo ci-dessus. Les voici. C’est un double de l’original (D.R.) qui m’a été donné par Paulette qui avait transporté son “Ajaccienne” de Montparnasse à la rue Laugier (Paris, 17e). Paulette, une femme de qualité et, à cette époque, la reine des Corses de Paris. A son côté figurent Antoine Bonelli, le guitariste de Tino Rossi, accompagné, au premier rang, par deux autres merveilleux guitaristes corses, et par la délicieuse Maryse Nicolaï. C’était au moment du dernier spectacle de Tino Rossi au Casino de Paris à la fin de l’année 1982. Bien qu’alors il fut malade et proche de sa mort, il m’a fait l’honneur de signer cette belle photo.