L’esclave du roi – Christian Satgé

Petite fable affable

 

Par-delà l’onde qui cerne le monde

Était un roi bon, homme généreux,

Désireux que sujets soient heureux,

Lesquels louaient sa sagesse à la ronde.

Pourtant, cet aimable souverain-là

Avait à son service un jeune esclave

Qu’il n’épargnait guère, un être suave,

Docile, disponible, jamais las,…

Il n’est que qualités, sans équivoque.

Le jour de ses quinze ans, il le convoque

À la salle du trône devant la Cour.

Comme il se doit, notre servile accourt,

Apeuré que le monarque ne le tance,

En public, pour avoir failli ou fauté

Et que ne le rosse cette assistance

Qui le méprise comme un vil crotté.

« Avance donc, fait le roi, alors qu’il entre

Dans le saint des saint du palais royal.

D’aucuns te disent vertueux et loyal !

– Je m’efforce de l’être, oui, en cet antre…

Pour vous y être utile, Majesté.

– Que sais-tu faire ? Tu peux tout lister…

– Mais rien que mon travail mon bon maître :

Nettoyer écuries, laver pavé,

Balayer, immondices relever,…

Suivant ce que dit le contremaître

Bâtir s’il faut, détruire au besoin,

Labourer, semer, moissonner à point ;

À la bonne saison faire la vendange ;

Aider aux cuisines au coup de feu

Comme aux travaux d’aiguille un petit peu ;

Assurer l’épandage après les vidanges,

Piocher, charrier, débroussailler,

Équarrir, façonner, roses tailler,… »

On fronce le nez ou pointent des rires

À l’énoncé de toutes ces basses œuvres,

Dans la Noblesse du pays qui couleuvre,

Assemblée ce jour là et qui aspire

À voir châtier ce petit morveux

Qui parle trop, Sire, étant nerveux.

Ce-dernier l’arrête d’un geste :

« Fort bien :… je t’affranchis sur le champ ! »

Puis sur un ton beaucoup moins méchant,

Il ajoute : « Désormais, sans être en reste, 

Je peux t’avouer que tu es mon fils

Et que ton sort, chardon parmi les lys,

Était l’éducation la meilleure :

Loin du fumet des fastes et des flatteurs 

Tu as vu l’enfer du décor, les batteurs

D’estrade, leur rouerie et, las, leurs leurres.

Maintenant tu sais,  mon fils, comment vit

Qui n’est que folle fumée ou que fêtes ;

Et toute ta richesse est leur défaite,

C’est que tu sais, mieux qu’en cent avis,

Comment, et sans fin mais pas sans faim, vivent

Ceux qui, tous les jours, se cassent les reins

Pour le bien général courant les coursives :

Que ton sceptre leur soit plus or qu’airain ! »

 

© Christian SATGÉ – Décembre 2021

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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3 Commentaires
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Martyne Dubau
Membre
22 décembre 2021 23 h 18 min

Une éducation de Prince qui passe par le travail d’un esclave ça ne peut que forger le caractère !
Fabulons, fabulons encore , la fable reste vivante sous les plumes des poètes

Invité
22 décembre 2021 8 h 22 min

Très beau, très bien, très juste ! Merci !