J’ignorais tout des godillots de Van Gogh.
Je connaissais les godillots de ma mère.
Je savais combien de fois ils avaient été
réparés,
Je connaissais les semelles usées,
le nombre de nœuds qu’avaient les lacets,
la pointe d’un clou
qui, une fois, était entrée dans mon talon droit.
Maman travaillait un jour sur deux,
c’est-à-dire qu’un jour elle travaillait
et un jour elle restait à la maison.
Ils étaient ainsi ses horaires.
Le jour où elle restait à la maison
j’allais à l’école.
Avec ses godillots.
Maman mettait à l’intérieur, tout au bout
des boulettes de finette faites avec de vieux pyjamas.
Elle choisissait toujours des motifs floraux,
et seulement de la finette blanche.
Elle mettait aussi sur les semelles amincies des godillots,
d’autres morceaux de finette blanche
pour que je ne sente pas les fines couches de glace.
C’est ainsi que j’allais à l’école.
Avec ses godillots.
Le bâtiment de l’école était un ange.
L’ange se penchait
et attachait mieux mes lacets
puis il essuyait la boue sur les godillots
avec une boule
de duvet et des plumes d’ange.
De ses ailes.
Puis il se levait et me regardait.
Il commençait à pleurer.
Moi, je ne pleurais pas.
L’ange me conduisait
jusqu’à la porte de la classe.
C’est comme ça que j’ai appris
pour les godillots de Van Gogh.
Mais aujourd’hui, je n’ai plus les godillots de ma mère.
L’ange les a pris
pour les porter lui-même.
Les godillots de ma mère, par Clelia Ifrim – Gabrielle Sava
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Très émouvant.