Il fait déjà bien chaud en ce milieu de matinée. Sur les plages les aoûtiens ont remplacé les juillettistes, tout aussi bruyants et imprudents en mer.
Il est un havre de paix où je viens quelquefois me ressourcer, lorsqu’un certain vague à l’âme m’envahit, une fatigue de l’esprit, un véritable besoin d’évasion.
Aux heures les plus chaudes de l’été où ma falaise est chauffée par un Soleil sans pitié, j’y viens recueillir un peu de fraîcheur.
C’est un marécage situé à quelques battements d’ailes de ma tour de guet, un petit paradis terrestre au décor de hautes herbes et de roseaux. Un endroit préservé du piétinement des touristes, des canettes en métal, des papiers gras et des sacs plastique, à part ceux amenés par le vent.
Une chose m’amuse dès que je m’y pose, c’est de déranger les grenouilles. Elles plongent avec toute la détente que délivrent leurs pattes arrières ; elles ont peur que je fasse d’elles un bon festin. J’ai déjà pris mon petit-déjeuner en mer et de toutes façons je ne veux pas de ces petites bêtes palmées dans mon estomac, je suis déjà palmé moi-même.
Les moustiques, très nombreux ici, ne s’attaquent pas à mon plumage, tout juste le bruit qu’ils font avec leurs ailes m’agace un peu. Est-ce que mes ailes font du bruit, je vous le demande ? Bon alors !
En vérité ce qui m’attire en ces lieux c’est un petit papillon aux ailes bleues, rappelez-vous celui de la statue du Christ face à la mer dans ma ”rencontre inattendue”. C’est mieux qu’un rendez-vous, je suis assuré de le trouver là, il ne s’aventure jamais hors de cette végétation protectrice.
Pourtant je suis toujours inquiet pour lui si frêle. Je sais qu’il est agile et malin, qu’il peut facilement se dissimuler des prédateurs dans un tel environnement propice au camouflage. Il n’empêche que je ne suis jamais totalement rassuré.
J’aimerais pouvoir l’emmener sur ma falaise, mais les vents sont parfois si violents et mon nid est bien haut perché pour ses petites ailes. Les courants ascendants ne feraient de lui qu’une bouchée.
De plus je ne m’imagine pas une seule seconde le voir plonger pour se nourrir d’un poisson, même un anchois à côté de lui serait une proie bien trop énorme. Pauvre petit papillon bleu.
Lorsqu’il me voit arriver, vite il vole vers moi et vient se poser sur mon dos. Je ne ressentirais pas son corps sur mon plumage si ses petites pattes ne venaient pas s’enfoncer jusqu’à ma peau pour me prévenir qu’il était prêt pour le voyage.
« Atterrissage réussi capitaine, emmenez-moi plus haut que mes ailes ne peuvent me porter ! »
Un goéland ne peut pas sourire mais ce sourire est dans mon cœur et je suis certain que le papillon le ressent bien.
Alors on monte très haut dans les cieux, à toucher les étoiles. J’en fais des loopings, des descentes effrénées et des remontées vertigineuses . Sûr qu’il doit s’accrocher à mes plumes ; sûr qu’il doit rire. Oui on est heureux, pour combien de temps on ne le sait pas mais cet instant présent que nous vivons, c’est un instant de pur bonheur volé à l’éternité.
Après l’on se quitte sans se regarder, il ne manquerait plus que l’on se voit couler des larmes, ça ne pleure pas des animaux… Enfin il paraît.
Le temps a passé trop vite mais bientôt l’on se retrouvera ; chacun de nous deux l’espère, peut-être même prie pour cela.
Qui peut savoir ce que réserve le temps pour un papillon bleu qui volette et un goéland si blanc ?
Les sentiments vrais restent dans les coeurs