Un peu à l’écart de la ville, il est un vieux bâtiment gris à la couverture de tôles dont la corrosion a laissé ses stigmates de rouille. Comme un trait d’union entre lui et la mer, une rampe de béton où glissent les bateaux s’échappe d’entre ses deux hautes portes toujours ouvertes pour disparaître sous les eaux.
C’est un petit chantier naval comme il en existe tant. Il ne peut accueillir tout au plus que des unités de taille modeste.
De cet atelier de réparation ne sort jamais de bruits infernaux. Ce sont surtout des coups de marteau ; parfois le son des équipements électro-portatifs pour découper, percer ou raboter.
Vous allez me trouver bizarre une fois de plus mais j’aime entendre résonner le bois sous le travail d’un outil. C’est pour moi une connexion qui se produit entre une époque révolue et mon âme d’oiseau nostalgique des bateaux en bois et des vieux gréements. La belle saison des voiles latines, qu’elles soient blanches ou teintées, est bien terminée. Ne restent plus que les voiliers des plaisanciers et les passionnés des bateaux d’autrefois pour conserver une certaine idée de la navigation.
Deux hommes œuvrent dans cet hangar ouvert au vent du large, le patron et son employé. Ils travaillent posément, méthodiquement, sans jamais trop se parler car ils connaissent leur métier jusqu’au bout des doigts. Ce sont des hommes dont les cheveux grisonnants donnent l’assurance d’une parfaite maîtrise du savoir et du geste.
Une réparation ne doit jamais défaillir, la vie des hommes en dépend dans un milieu aussi beau qu’il peut devenir hostile quelquefois.
Dans un coin d’atelier est en chantier un canot tout en bois. Est-ce la commande d’un féru de la rame traditionnelle où le patron y passe-t-il ses heures de loisir ? Peu importe j’aime venir respirer cette odeur de bois façonné avec passion.
Je me pose sur le plat-bord et mon rêve m’emmène naviguer sur les flots. Bien entendu j’ai un équipage qui souque, comment voulez-vous que je fasse avec mes ailes ?
Au début lorsque je pénétrais dans cet hôpital pour bateaux j’étais regardé avec curiosité et amusement. A présent je semble faire partie du décor comme le sont les nombreux outils accrochés un peu partout aux murs.
Par contre je ne reçois jamais en guise de bienvenue un délectable petit poisson, à la place quelques morceaux de pain dont je ne laisse pas une miette ; pour faire plaisir , certainement mais c’est bon aussi du pain.
Un jour je les ai entendu rire de moi. Je me suis présenté à l’entrée du bâtiment au moment-même où un petit chalutier allait être remis à flots. Posé sur le chariot il commençait à glisser doucement sur la pente douce. Je me suis installé à l’avant du navire et les ailes écartées, criant à gorge déployée je me suis pris pour une figure de proue vivante le temps de la descente jusqu’à me prendre en pleine face toute les éclaboussures d’un contact avec la mer assez viril.
Jamais je ne rate une occasion de faire de la vie un grand spectacle de cirque.
Ce Goéland a décidément le pied marin😉
Il glisse sur les rives de la vie
Éclaboussé par le temps qui passe…. si vite
Alain, plus je lis tes “contes de goéland”, plus ses images m’apparaissent. Merci !
Il est vrai que la vie est un grand spectacle dans lequel nous sommes parfois acteurs malgré nous et souvent spectateurs ! Merci, Alain, pour ce partage à méditer !