Les contes du goéland – Alain Salvador

UN OISEAU ET DES HOMMES

Sur leur barque catalane aux deux extrémités pointues, au rostre avant saillant, dès les premières lueurs du jour sortent du port les pêcheurs dans le bruit étouffé de leurs moteurs qui ont depuis bien longtemps remplacé les voiles latines. Il est un marin que je reconnais de loin à la barre de son embarcation jaune comme l’est mon bec, un homme trapu et barbu, un vrai marin de carte postale ; il ne lui manquerait que la pipe à la bouche.

J’ai une affinité particulière pour lui, je ne sais pas pourquoi et d’ailleurs ce genre de ressenti ne s’explique pas. Peut-être une sorte de magnétisme, un lien indéfinissable, un pont invisible reliant deux êtres pourvus d’un cœur empli de bons sentiments.

A chaque occasion qu’il m’est donnée de la faire je viens me poser sur l’avant de sa barque. Il vient relever ses filets posés la veille au soir pour ensuite vendre la récolte de sa pêche sur un étal disposé face au quai où sont amarrés les pointus.

Lorsque j’arrive à son bord il me regarde avec des yeux doux. Sur son visage buriné s’esquisse un très léger sourire, je m’en aperçois plus à ses yeux qu’à ses fines lèvres dissimulées derrière une forêt de poils gris. Si tous les oiseaux d’une espèce se ressemblent pour un œil non averti, cet homme de la mer assurément me reconnaît. D’ailleurs je pense être le seul qui lui tienne compagnie pendant son labeur.

Il a de solides mains calleuses, prêtent à tordre le cou à quelque monstre marin qui sortirait des profondeurs pour venir l’engloutir lui et son embarcation.

Mon ami le pêcheur me gratifie toujours d’un bon petit poisson lorsqu’il a terminé la méticuleuse remontée de ses filets. Nous savons que cet instant donne droit à un petit rituel qui nous enchante. Il s’avance vers moi mon repas à la main mais il ne me le tend pas devant mon bec tant que je n’ai pas battu des ailes en poussant des cris stridents.

Là seulement j’arrive à percevoir un large sourire sous le rideau de sa barbe. Il déploie son bras et d’un rapide coup de bec je me saisis de ma proie facilement obtenue avant de l’avaler goulûment.

Les jours de pluie ne semblent pas le perturber. Il endosse son ciré jaune par-dessus sa veste de laine. Seule une mer formée lui interdit toute sortie.

Lorsque l’orage fait entendre sa voix tous les pointus restent à quai en attendant que passe le danger. Il est arrivé jadis qu’un pêcheur soit foudroyé dans sa barque, mauvaise fortune de mer.

Je me sens l’âme d’un protecteur et ne quitte le bord qu’une fois que mon marin ait franchi le petit phare qui marque l’entrée du port. Je prends alors mon essor, fait un large tour au-dessus de l’homme et son bateau pour le saluer et le remercier, avant de prendre mon envol haut dans le ciel. ”A notre prochain rendez-vous mon ami…”

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Alain Salvador

Alain Salvador (387)

Je suis né en 1956, et ai toujours eu le goût pour l’écriture.
Cependant je n’ai fait aucunes études , ni de lettres ou autre chose de bien gratifiant.
Je n’ai qu’un CAP de mécanique en poche et ma vie passée en usine , ma famille avec mes trois enfants, font que depuis ma retraite, j’ai repris du temps pour me consacrer aux mots.
On pourrait dire de moi que je suis plutôt un autodidacte.
Les quelques personnes à qui je fais lire mes textes me disent que j’ai une facilité d’écriture.
A ceux-là je leur réponds: ”ce n’est pas toujours aussi facile qu’il y paraît… ” Et pour l’orthographe, et bien je révise les règles…Il n’est jamais trop tard si l’on veut entreprendre quelque chose dans sa vie.

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Hélène Lebougault
Membre
11 novembre 2022 22 h 38 min

Ce goéland là a flairé la bonne affaire😉