La ronde infernale – Philippe Dutailly

Une mante dînant de son chétif amant,

conservant toujours son air atrabilaire,

ripaillait goulûment sans remord infamant

en dodelinant sa tête triangulaire.

 

Lors celle-ci, nymphomane et gourmande,

guettait, avec émoi, la capitulation

d’un autre mâle qui, faisant sa demande,

Servirait de dessert à la copulation.

 

A côté et d’un mouvement pendulaire,

une araignée créait sous les étoiles,

son fil, de son organe glandulaire,

tissant, patiemment, les mailles de sa toile.

 

Satisfaite de son ouvrage intime,

en espérant le gain de sa ténacité,

elle attendit sa future victime

prochaine martyre de sa férocité.

 

Dans la rosée, elle vit la mante à l’eau

qui, rassasiée faisait une toilette,

puis, au sortir du bain, contourner le bouleau

pour, fatalement, tomber dans la voilette.

 

Un pauvre cafard, doté du même état,

fut également la victime du filet

et sa vie misérable finit en rata

dévoré âprement et dans un prompt délai.

 

Quand l’araignée, repue, digéra son repas,

ayant reconstruit son piège diabolique,

avec ses huit pattes, elle refit les cent pas.

Pour la morale, elle eut une colique !

 

Une grenouille vit, de ses yeux mobiles,

les phases du festin sans éprouver d’humeur.

elle hoquetait, faisant des bonds débiles,

comme fit son père un vieux crapaud fumeur.

 

Or entre deux hoquets, elle goba l’araignée

Puis reprit le cours de sa vie bondissante

lorsque, sournoisement, sortit d’une saignée

vint un serpent à l’allure repoussante.

 

Nu comme un ver et rampant, silencieux,

sa langue ressemblant au pic des quenouilles

il se mit à guetter, bâton fallacieux,

jusqu’à ce qu’il fondit sur la pauvre grenouille.

 

Il fallut un moment pour bien la digérer,

l’excroissance allant sa lente progression,

quand, volant dans l’espace, il fut repéré

par un très grand rapace en quête d’agressions.

 

C’était un aigle de fort belle allure

qui tua le serpent et le mangea tout cru

puis, de ses ailes à la grande voilure,

retrouva son aire aux branchages écrus.

 

Mais un chasseur veillait depuis le petit jour

avide de trophées, d’animaux empaillés,

et cet aigle trônant, en vue, dans son séjour

ferait l’étonnement d’amis émerveillés.

 

Alors, viril, l’œil injecté de sang,

d’un bref tremblement, à peine perceptible,

il pointa la mire sur l’oiseau innocent

et, tireur excellent, il perfora sa cible.

 

Mais le cœur faible face à l’excitation

et mangeur, à l’excès, de gras abus divers

l’infarctus redouté le frappa dans l’action

et son corps, sur le sol, reposa tout l’hiver.

 

Lentement dévoré par la putréfaction,

ne restait plus qu’une dépouille spongieuse,

attirant des mouches qui, grande satisfaction,

furent les mets d’une mante religieuse.

 

Ainsi va la vie dans ce cycle éternel

donnant, aux tragédies, quelques airs comiques

mais, ne nous leurrons pas ! un bouton criminel

ôtera, d’un coup, toutes les polémiques.

 

© Philippe Dutailly – 01 11 1991

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Philippe DUTAILLY

Philippe DUTAILLY (89)

Tombé amoureux de "L'albatros" de Charles Baudelaire, poème appris lorsque j'étais 'écolier et nourri au hasard de Victor Hugo, Georges Brassens, Léo Ferré, Lamartine et beaucoup d'autres, j'ai commencé à faire rimer les mots vers l'âge de 18 ans. D'abord très inspiré par Brassens, j'ai pris, au fil du temps, mon autonomie pour en venir à des textes plus intimes qui, pour certains, servirent d'exutoire à des émotions mal vécues.

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Anne Cailloux
Membre
4 septembre 2023 14 h 56 min

J’adore. heureusement nous échapons à ce cercle infernal, enfin pas tout à fait car dessous la terre…. bref. Merci pour cette lecture;

Michel LO
Membre
1 septembre 2023 16 h 42 min

Oh là là ! C’est drole et bien écrit !
Une très jolie histoire qui mériterait une musique …

Jean-Marie Audrain
Modérateur
1 septembre 2023 16 h 01 min

Véritable symphonie naturaliste ! ! !