La fresque d’Urbino (Pictor Ignotus : une fresque) de Ion Pillat – Gabrielle Sava

« Elle possède un charme étrange, pénétrant et mystérieux,
Que la vie elle-même ne peut ressusciter.
Mais celui qui fut devant la fresque quinaud
Comment trouverait-il encore quelque femme belle,
Ou donnerait-il ensorcelé son coeur qui ensorcelle.
Reviens, étranger, si tu as été là-bas à Urbino ! »
Du livre de Vasari les paroles de raison
Me tourmentaient à présent, sur l’escalier en colimaçon,
Le moine me guidait en passant devant,
Et l’ombre d’une branche jouait sur les murs doucement
Quand à travers les colonnades de plus en plus allongées
Nous atteignaient pieusement les rayons par le soir enténébrés –
Avec le crépuscule nous étions arrivés aux bords de la closerie.
Dorée sous l’or de la lumière elle s’offrit,
À travers une double rangée de cyprès étiques,

Tout à coup nous aperçûmes dans sa lueur énigmatique
La madone créée de main de maître dans une heure de folie.
Il fut d’église en église peintre d’iconostases,
Le maître inconnu, dit le maître de Marie,
Il travaillait l’icône de la Sainte Mère avec inélégance,
Immobile et droite, au sourire plein de sapience
À travers les psaumes des prélats que l’encens embrase.
Il allait de contrée en contrée pour un bout de pain :
Assise hier, aujourd’hui reçu à Anzio, Arezzo demain,
Vagabond sur les chemins…
Il vint un jour où voici
Que Fra Bartolo le supérieur se réveilla et le vit
À la porte du monastère papal d’Urbino,
Portant un regard perdu, des mots sans à-propos :
– J’ai rencontré, mon père, la Vierge immaculée
Sous l’éclat des étoiles et de rayons habillée,
Et il voguait un doux parfum de rose dans ses mots.
Par les prairies en fleurs j’ai cheminé et elle m’a dit :
– Peins-moi mon icône –et depuis cette nuit où je la vis

Je l’ai revue encore plusieurs autres nuits…
Et le fou créa une fresque si jolie.
Travailla-t-il un jour ? Une vie ?
Un beau soir, sans profit,
Périt le « pictor ignotus » inconnu à lui-même.
Le moine n’en sait pas plus… De tristes chuchotements,
Des chants plaintifs de la nef s’élevèrent,
Obscurcis par l’éternel repos ils arrivèrent…
Moi, en contemplation pleine de prière et d’espérance,
Je regardai la madone, la douce Vierge d’Urbino,
Le visage illuminé de songe et de croyance,
Qui se perdit dans le temps, au moment crépusculaire,
Troublant de douceur…
Et depuis des horizons austères,
Encore j’entends dans la nuit : « Étranger, reviens ! »

456713902_903115315184274_872412680715464497_n - Copie.jpg

Nombre de Vues:

11 vues
Gabrielle SAVA (DANOUX)

Gabrielle SAVA (DANOUX) (30)

Je suis née en 1975 à Bucarest. Après un baccalauréat littéraire au Lycée français de Bucarest, hypokhâgne à Strasbourg, une licence de lettres et une maîtrise de droit, je suis devenue juriste et traductrice d’entreprise. Depuis 2017, j'exerce exclusivement l’activité de traductrice littéraire, avec déjà de nombreux romans et recueils de poésie à mon actif.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/carnet-de-routes/un-fleuve-personnage-le-danube-2021352

S'abonner
Me notifier pour :
guest

1 Commentaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Lausha
Membre
14 septembre 2024 13 h 59 min

Je suis émue de ce sublime texte…