Ma mère, après une carrière de médecin, s’est totalement immergée dans la peinture avant même d’atteindre l’âge de la retraite, et bien qu’elle ait entamé sa 100e année, elle continue de peindre.
L’histoire de mes parents – surtout celle de mon père et ses 6 copains* – est celle de beaucoup de chinois qui vivaient dans la concession française de Shanghai dans les années 40 : celle des privations de la guerre, de l’occupation brutale par les japonais, et la guerre civile qui ne s’est achevée qu’avec l’arrivée du communisme de Mao en 1949. Pour mes parents, comme pour François Tcheng (académie française), c’est aussi l’histoire de l’exil vers la France et l’adaptation à une nouvelle culture. François est venu plusieurs fois visiter mes parents et voir une des expositions de ma mère.
Même Daniel Ratcliffe (acteur Harry Potter) est venu voir ses tableaux à Saint Dié des Voges, un peu par hasard, il faut dire, mais il est quand même resté pour les admirer ;-)
* C’est le roman de 7 garçons et d’une amitié qui a traversé le temps et l’espace “Les Sept Jean”
Pour son 99e anniversaire qui a eu lieu début avril 2023, j’ai commis une petite vidéo sur “Jeanne peintre” dont je vous mets le texte ci-contre, et le lien vers la video de 6 minutes
Je suis Michel, le fils aîné de Jean et Jeanne LODe mes souvenirs de la maison, même quand je l’ai quittée pour mon propre foyer, j’y ai toujours vu des tableaux.
Certains immenses, d’autres de taille plus modeste, mais autant il y avait peu de musique, autant l’art pictural était omniprésent dans la maison de maman.
J’ai vu évoluer son art. Au début très orienté vers la représentation de ce qu’elle voyait, petit à petit elle est plus allée vers ce qu’elle ressentait, d’abord à la façon des impressionnistes, puis frôlant le non figuratif mais toujours avec cette volonté de faire ressentir ses propres impressions.Je l’ai toujours vu travailler sans cesse sur les différentes techniques dans des cours et des stages de peinture. Mais j’ai le sentiment qu’elle s’exprime aujourd’hui plus à la manière des peintres chinois où l’on cherche moins à représenter ce qu’on voit ou ce qu’on ressent, qu’une sorte de connexion avec l’univers.
J’ai pu récupérer avec sa bénédiction un ensemble de quatre croquis sur papier de soie qu’elle a réalisé en live pour un atelier sur le lavis à l’encre de Chine, afin mieux expliquer à des peintres accomplis ce qu’elle voulait dire en répétant : apprendre à faire des taches.
Dans le processus de création, on commence par une ligne directrice pour progressivement l’étoffer et enfin arriver à une représentation compréhensible. Mais on fait simplement évoluer son tableau.
Dans l’exemple des quatre croquis, on découvre le même tableau refait à chaque fois depuis le début pour s’arrêter à un stade d’avancement différent.
Et c’est là que j’ai compris que chacune de ces taches qu’elle faisait presque au hasard, n’était pas du tout du hasard, mais un geste fait et refait des milliers ou plus probablement des dizaines de milliers de fois pour arriver à un geste final d’une technicité qu’on n’aurait pas imaginé compte tenu du la fluidité du geste.Aujourd’hui Jeanne a 99 ans. Elle démarre sa 100e année.Avec l’âge, elle s’est recentrée sur l’essence même de sa conception de l’art. Quand elle tient un pinceau, elle ne le commande pas, elle l’incite à faire avec elle. Et ce pinceau a l’air de prendre ses propres décisions de laisser un trait de peinture ou pas. Voir Jeanne peindre c’est assister à une sorte de négociation entre le pinceau et la main, comme s’il existait deux volontés d’expression qui venaient s’accorder et se compléter dans le cadre d’une relation incompréhensible et quasi mystique dirigés par l’esprit de Jeanne.
C’est probablement ce souvenir de son art que je garderai toujours en mémoire.
Très beau et émouvant ! Un magnifique hommage ! Merci !