LXX – Chantal, ses maux et ses hommes
Chantal avait un atout majeur et un défaut qui lui faisait écho : elle parlait avec une aisance inouïe, mais elle ne savait pas s’arrêter. Son unique sujet de conversation portait sur sa petite personne. Elle faisait deux collections connexes très particulières : celle des médecins traitants et des congés maladie. Je rajouterai celles des hommes, mais en parler nous plongerait déjà dans le scénario de son histoire.
Chantal travaillait pour le ministère de l’intérieur. Elle avait un tiroir rempli d’attestation comme quoi son état de santé ne lui permettait ni de reste longtemps au téléphone ou devant un écran, ni de monter des marches ou de porter des dossiers. Entre les arrêts maladie, elle se faisait muter de commissariat en tribunal et y arrivait fraîche comme une jolie rose, de tous inconnue. De lieu en lieu d’exercice, elle avait le soutient de Stéphane, un responsable de la CGT dont elle était follement amoureuse. Du camarade, pas du syndicat. C’est lui qui lui conseillait quel certificat sortir dans sa boite à malice pour se retrouver en arrêt maladie dès la fin de son premier mois ici puis là. Cette habitude lui a permis de ne pas travailler un an durant avec des arrêts initiaux prétextant des pieds plats ou une allergie aux pollens.
Son temps libre occasionné par ses incessants arrêts maladie, elle les passait avec les hommes d’OVS (on va sortir) : randonnées, cinémas, bowlings, restaurants…Une véritable activité à plein temps aux frais de la CPAM.
Elle se brouillait avec toutes les femmes en qui elle voyait soit des rivales, soit des profiteuses. La meilleure nouvelle amie d’un jour devenait sa pire ennemie du lendemain. Son rapport avec les hommes n’était pas premièrement libidineux. Si elle les invitait spontanément chez elle, c’est uniquement pour leur demander de déplacer ses meubles, repeindre son plafond ou lui monter une nouvelle armoire livrée par IKEA. Madame n’achetait que du très haut de gamme, en ayant les moyens vu qu’elle se faisant payer ses sorties par ses ‘amis’ d’OVS.
Chantal me demandait toutes les semaines mon avis et des conseils pour ses relations avec les hommes. Son histoire ressemblait à un éternel retour du même. Elle hébergeait un homme qui l’avait séduite et qui acceptait d’être à la fois son amant et son factotum, lui faisant savoir qu’elle désirait fonder une famille et avoir des enfants, mais au bout de six mois bien protégés au latex, l’homme n’avait plus aucun désir ni de vie de couple ni d’enfant.
C’est à ce moment-là qu’elle rejouait la carte Stéphane et se rendait aux cocktails de la CGT, camarade qui ne manquait pas de s’afficher devant elle en proche compagnie de telle et telle jolie syndicaliste. Chantal était intimement persuadée que c’était sa façon bien à lui de lui déclarer sa flemme en faisant mine de vouloir la rendre jalouse. Il faut avouer que ce Stéphane semblait s’amuser à faire rugir Chantal à qui il répondait verbalement que tout allait très bien pour lui ; qu’elle s’imaginait des choses.
Chantal avait dans ses nouveaux partis un tunisien gardien d’immeuble qui venait de se convertir de l’Islam à une confession évangélique sans nom. Son appartement était rempli d’écrans d’ordinateurs et de tablettes affichant des versets bibliques, sur ses murs comme sur ses tables. Il prétendait avoir posé sur sa table basse un Coran et un Bible et avoir demandé à Dieu dans quel livre était la vérité. Appartenant sûrement aux témoins de Jehova, il annonçait la fin des temps comme imminente. Ce fut surement ce qui refroidit moyennement Chantal dans ses prétentions. N’empêche que pour tenter de la convertir, il n’hésitait pas à aller leur acheter de délicieuses pizzas le temps de longs échanges sur son canapé biblique.
Nous avons visité des Beaubourg et des expositions d’amies peintres Chantal et moi. Et également des salons comme celui de Marjolaine au parc floral de Vincennes. En tous ces endroits, Chantal aimait donner aux gens l’impression qu’elle était en couple avec moi. Officiellement, je n’étais que son confident et son conseiller. Je dirais aussi son écoutant car, plusieurs soirs par semaine, j’ai dû l’écouter des heures durant sans pouvoir placer une seul mot.
Par deux fois j’ai été opéré et hospitalisé durablement et Chantal n’a jamais eu l’idée de me rendre visite. Par contre, elle s’était mise dans la tête qu’un de ses plombages de molaires lui avait pénétré dans les chairs et que tous ses soucis venaient de là, elle exigea de se faire opérer. Elle me demanda de venir lui rendre visite lors de son unique nuit dans un hôpital du nord de Paris. Or, cela tomba un jour de grève des transports et de réunion plénière de mon travail, en banlieue sud, au-delà des horaires habituels. Je lui ai tout expliqué par SMS, message auquel elle a répondu que, n’ayant pas tenu ma parole de venir lui tenir compagnie après sa légère intervention, elle me bloquerait définitivement, ayant compris qu’elle ne pourrait jamais compter sur moi.
Il faut apprendre à reconaître les têtes de profiteuses