Son « je t’aime » couché dans sa lettre me procura une joie immense et me fit oublier la journée de travail à l’usine où j’avais répété les mêmes gestes. Cependant, je n’avais plus le cœur qui s’emballait comme aux premiers courriers. C’était maintenant une sorte de tendre accoutumance. Les balbutiements laissaient la place à des sentiments plus définis. Les discussions à cœur ouvert du café avait installé notre bonheur dans la durée. Cette deuxième rencontre après « l’heureux avènement », la naissance de notre amour, avait donné toute satisfaction à nos sens. L’émoi y avait été présent de bout en bout. Ce besoin irrépressible de se toucher, de s’embrasser, presque de se donner était permanent. Souvent, je caressais son visage. Elle avait une bouche fine et bien dessinée et j’aimais passer mes doigts sur ses lèvres. Elle était vraiment belle. Je la trouvais racée, intelligente, sensuelle et ayant toutes les qualités. Le plus extraordinaire, c’est qu’elle avait des pensées similaires pour moi. Maintenant et à l’opposé du weekend précédent où dire « je t’aime » aurait été sans résonance avec une Catherine encore inconnue, nos « je t’aime » s’étaient enrichis des émotions de ces dix derniers jours. « Je crois que j’ai trouvé ce que je cherchais ! ». Lui avais-je dit. En fait, je ne cherchais rien de particulier avant de la connaître mais elle m’emportait dans un tel tourbillon que j’étais sûr désormais que c’était elle et pas une autre !!! Elle était si différente de toutes ces filles que j’avais connues. Elle, rayonnait ! Chaque mot qu’elle disait était sensé et une grande complicité nous unissait maintenant. Je commençais une phrase et elle l’a terminait. Et vice et versa. Après un silence, on débutait la même phrase en même temps. Tout cela nous enjouait. Un rien nous faisait éclater de rire ou provoquait des sourires de contentement. D’autres n’auraient rien compris à nos subtilités et se seraient demandés pourquoi tant de rires pour des phrases des plus banales. Bref, nous avions l’air stupide des amoureux qui vivent sur une planète connue que d’eux seuls et déconnectés de la logique des hommes normaux. Nous avions convenu de nous voir dans un café : « Le perroquet ». Mais elle m’avait demandé, avant d’y aller, de venir chez elle voir ses parents. Cette idée ne me plaisait pas plus que ça mais je ne pouvais pas me défiler. Bien que je trouvais que l’entrevue arriva tôt dans notre relation mais ils étaient curieux de voir l’oiseau rare qui faisait tourner la tête de leur fille. Ca aurait été plus facile par téléphone. Elle m’attendait en bas de leur immeuble. C’était une barre HLM bien tenue. Les habitants étaient encore respectueux, dans ce début des années 70, des locaux mis en communauté. Il faisait bien ses 7 ou 8 étages. Je la suivis dans l’escalier. Je n’étais pas à l’aise. Pas du tout ! Je me demandais bien ce que je pourrais bien leur dire. Et puis, comme à mon habitude, je me fis un peu confiance en pensant que je pourrais composer avec la situation. Nous sommes montés à pied jusqu’à son palier. « J’espère que tout se passera bien ! » me dit-elle avec un peu d’inquiétude. Enfin, elle ouvrit la porte de son appartement. Là, mon cœur battit très fort. Catherine, surexcitée me présenta à ses parents. Je les saluais. Après un instant d’observation furtif mais intense, je répondis à leurs questions. Je serais bien incapable de vous les rapporter. Mais ils m’ont bien reçu et à la différence de mes parents, qui avaient toujours l’humour taquin propre à vous mettre parfois mal à l’aise, ils ne firent aucun commentaire. Aucune critique sur mon apparence. Du moins devant moi. Puis elle m’entraîna dans sa chambre. Je voyais donc l’univers d’où sortaient toutes les phrases magiques que je recevais dans ses lettres. C’était une chambre sobre. Un contraste total avec la mienne ! Je la sentais détendue, apaisée par la tournure des événements. Elle semblait heureuse de me montrer son antre. Tout respirait ses habitudes. Puis le trouble nous enveloppa doucement. Nous nous sentions en suspension au centre d’un halo de bonheur !!!Nos baisers, au fur et à mesure, devenaient plus empressés, plus intenses. Peut-être l’effet de sa chambre ? Nous venions de passer un cap ! Une dimension sexuelle venait de surgir dans notre relation. Irrépressible !!! Nous avons abandonné l’idée du « Perroquet ». C’était en fait un plan B au cas où ça se serait mal passé. Mais il ne fallait pas affoler ses parents alors nous parlions à voix haute de choses et d’autres et à voix basse, de choses beaucoup plus intimes. Le tout ponctué par des sourires complices et entendus. Catherine profitait pleinement de ces moments. Moi, j’étais un peu plus tendu. J’étais quand même en terrain instable ! Puis, quand vint le départ, je saluais respectueusement ses parents et rentrais chez moi. J’étais satisfait. Je pensais avoir réussi mon examen d’entrée…
© Philippe Dutailly – 12 2022